La ville de Syracuse est connue pour ses maints projets industriels. Baptisée la « Ville de Sel » pour sa première industrie (précipitée par la découverte de sources salées par les Jésuites en 1654), ensuite connue comme « la capitale mondiale de la machine à écrire » en raison des usines Smith/Corona et Remington, et plus tard «la centrale de l’air climatisé » en raison du siège social de Carriers.
Peu de temps avant que MM. Brown et Lipe n’aient commencé à produire des boîtes à vitesse (leur compagnie fut finalement intégrée à General Motors), la ville devenait le siège d’une des trois premières compagnies d’acier de creuset aux États-Unis. La production de cet « acier d’outils » était nécessaire à la deuxième phase de la révolution industrielle, par laquelle l’industrie Américaine atteignit sa maturité. L’Angleterre avait mis au point les processus de fabrication de ces aciers alliés. On se rappellera des couteaux de Sheffield justement en raison de la qualité de l’acier britannique.
Au milieu du 19e siècle, les droits de douane rendaient difficile l’importation d’acier britannique aux États-Unis. Les compagnies d’acier anglaises ont établi des filiales aux États-Unis afin de profiter du potentiel énorme que représentait le marché américain. The Sanderson Brothers, une compagnie importante de Sheffield, s’intéressa à la ville de Syracuse, peut-être en raison de la proximité des monts Adirondacks et de leurs dépôts de minerai de fer, et de l’existence préalable d’une industrie d’équipement de ferme qui utilisait l’acier. La compagnie Syracuse Chilled Plow, éventuellement intégré à John Deere, était valorisée pour les pointes d’acier trempé de ses charrues et pour sa proximité au canal Erie et au chemin de fer central de New York, permettant la distribution partout au pays. En 1890, Syracuse et Pittsburgh représentaient la majeure partie du marché pour l’acier « Sheffield » aux États-Unis.
Il y a 100 ans, à l’époque des chemins de fer, l’économie Américaine était se composait de l’amalgame des économies de ses villes et la plupart des villes jouaient un rôle unique sur le marché américain. Par exemple, la ville de Milwaukee produisait de la bière et de l’équipement de commutation électrique, tandis que la ville de Hartford était la capitale de l’assurance. Rochester avait un monopole sur les caméras et les lentilles. DeKalb fabriquait le fil barbelé pour le pays, Toledo fabriquait ses balances, et Waterbury produisait ses outils et pièce de cuivre.
En 1900, chaque ville prenait sa renommée d’un ou deux produits qu’elle fournissait aux consommateurs du pays entier. Souvent, les produits américains dominaient les marchés mondiaux.
On oublie souvent les liens étroits qui existent entre l’histoire industrielle des États-Unis et l’histoire complexe de l’immigration vers ce pays. On s’attarde rarement au fait que la composition de la population urbaine aux États-Unis différait d’une ville à l’autre en fonction des industries propres à chacune de celles-ci. Les industries d’une ville avaient un effet sur qui venait y travailler, et l’arrivée massive d’immigrants d’une région particulière avait un effet sur la création de nouvelles industries. Lorsque le moulin Sanderson s’est établi à Syracuse, des travailleurs d’acier Anglais et Allemands qui avaient auparavant travaillé à Sheffield sont arrivés dans la ville. Les travailleurs allemands ont bientôt lancé des brasseries et créé une immense industrie de la chandelle. Fut un temps où Syracuse détenait le titre de «Capitale mondiale de la chandelle». Le Vatican demeure à ce jour un client de la ville.
Partout au pays, les différentes industries attiraient des immigrants de différentes parties du monde. Les Italiens sont arrivés, en partie, pour construire les villes en pierre de l’est du pays. Aujourd’hui près de 20 pourcent des populations du Rhode Island, du Connecticut et du New Jersey sont de descendance italienne. Dans le Midwest, où les villes sont construites en bois, les citoyens de descendance italienne ne représentent pas plus que 2 pourcent de la population. Les producteurs laitiers de l’état de New York sont les descendants des 5000 Écossais-Irlandais qui sont venus construire le canal Erie dans les années 1820. La ville de San Francisco comporte la plus grande population de descendance chinoise au pays, surtout en raison du besoin énorme de main-d’œuvre lors de la construction du chemin de fer transcontinental. De même, Kansas City abrite une des plus anciennes communautés de Mexico-Américains, qui sont venus bâtir le chemin de fer vers l’Amérique Centrale.
La question de comment promouvoir la renaissance des villes qui ont perdu le génie de leur apogée industrielle est très présente dans les discours politiques. Pourtant, l’importance de l’immigration dans l’histoire des villes est rarement mentionnée pour en tirer des leçons pour l’avenir. Nous cherchons plutôt des solutions dites « innovatrices », mais celles-ci ne semblent pas avoir réussi à relancer les économies citadines de façon fiable. Afin d’anticiper le caractère futur d’une ville, nous devons étudier la relation historique qui existe entre les entreprises qui s’y sont établies, l’histoire d’immigration de la ville, et comment ces facteurs se sont influencés.
Michael Porter a identifié et décrit l’importance des groupements industriels pour le développement urbain. Tel que mentionné ci-haut, chaque ville qui avait un produit unique et un lien ferroviaire pouvait soutenir un groupement industriel. Toutefois, nous avons une théorie mais pas un plan de route pour la création de groupements industriels réussis.
Quelles leçons pouvons-nous tirer du passé qui nous seraient utiles dans la reconfiguration de nos villes? Dans un premier temps, les experts et les administrateurs doivent cesser de se fier aux récits causaux qui ne sont pas prometteurs pour l’avenir. Ensuite, les villes doivent identifier des nouvelles façons d’accueillir des entreprises de taille à croissance soutenue. La relocalisation d’entreprises manufacturières déjà établies, par l’incitatif de subventions, s’est presque toujours avérée inefficace.
Tout au long de l’histoire, les immigrants qualifiés et entrepreneurs ont joué un rôle essentiel dans les villes à chaque étape de leur évolution économique. Aujourd’hui, les villes qui cherchent des nouvelles industries pourraient considérer le recrutement d’immigrants à titre de mesure agressive mais nécessaire.
Les immigrants figurent parmi les entrepreneurs les plus accomplis aux États-Unis, et ce depuis toujours. Les nouvelles compagnies sont la source première de nouveaux emplois et les perspectives futures d’une ville sont directement liées au nombre de nouvelles entreprises qui s’y établissent. Le parrainage peut être considéré un investissement dans l’avenir économique d’une ville.
Les réfugiés politiques sont un autre groupe qui est couramment oublié en matière de contribution potentielle à l’économie d’une communauté. Dans presque tous les cas, ces individus ont connu des difficultés dans leurs pays d’origine en raison de leur désir de vivre et d’agir à la manière des peuples libres du monde. Ils ont fait connaître leurs aspirations politiques et économiques. Ils ont fait preuve d’un intérêt pour l’innovation tout en cherchant à s’instruire. Souvent, ils ont été déclarés personae non gratae justement parce qu’ils exploitaient des entreprises. Il s’agit d’autant de caractéristiques qui font la réussite de l’entrepreneur lorsque celui-ci se retrouve dans le bon climat politique et culturel, où la liberté intellectuelle et l’initiative économique prédominent.
Presque toutes les villes ne tiennent pas du tout compte du potentiel des immigrants, et surtout celui des populations minoritaires, pour la création d’entreprises.
Source : Forbes.com